Twitter, Facebook, Wikipédia. Pas un jour ne passe sans que l’on annonce que ces sites internet ont révolutionné notre manière de communiquer, de nous informer, et in fine notre mode de vie. Récemment, c’est le huis clos volontaire de cinq journalistes qui pendant cinq jours disposaient de Twitter et Facebook pour toute source d’information qui a fait la une de l’actualité. Les uns s’enflamment pour cette révolution du web 2.0 dont d’autres dénoncent les dangers. Difficile de démêler le vrai du faux dans ce débat où s’expriment surtout ceux qui ignorent tout du sujet.
Le point commun essentiel entre Twitter, Facebook et Wikipédia est leur ambition – ou celle qu’on leur prête - de rendre le monde meilleur, que ce soit en favorisant l’accès à la connaissance (Wikipédia), à l’information (Twitter) ou la communication avec autrui (Facebook). Peut-être est-ce parce que les utopies ont toujours fait peur que ces sites déchainent aujourd’hui les passions ? Retour sur un phénomène nettement moins neuf qu’il n’y paraît.
L'utopie est une représentation d'une réalité idéale et sans défaut. Le terme a été forgé par Thomas More pour qualifier le type de société idéal qu’il décrit dans son ouvrage Utopia. Bien d’autres auteurs vinrent à sa suite pour décrire à leurs lecteurs la société qu’ils appelaient de leurs voeux. Avec le recul, on se rend compte que ces sociétés n’ont de parfait que l’apparence, voire que le rêve peut carrément se transforme en cauchemar. Ainsi, dans la Cité du Soleil, Tommaso Campanella va jusqu’à prôner l’eugénisme. Comme un signe des temps, depuis le XXème siècle, l’on se méfie des mondes parfaits : Brave New World, d’Aldous Hurley et 1984, de Georges Orwell ont montré le danger de ces sociétés qui tendent à nier l’individu, sacrifié sur l’autel de ce qui est présenté comme le bien commun, donnant ainsi ses lettres de noblesse au genre dystopique.
Même si elles se font désormais beaucoup plus discrètes, les utopies n’ont pourtant pas totalement disparu. Pour les retrouver, il suffit de se rendre sur la toile. Prenons le cas de Wikipédia. Le site fondé par Jimmy Wales a pour projet, rappelé à l’occasion d’un nouvel récent appel aux dons, d’arriver à un monde dans lequel chaque personne pourrait partager librement l'ensemble des connaissances humaines.
Twitter serait, quant à lui, capable de faire vaciller les tyrannies, bousculer les puissants et j’en passe. On y voit la nouvelle source d’information, immédiate et omnisciente. Après tout, c’est là que se qu’ont été publiées les premières informations sur les attentats au Pakistan et l’amerrissage de l’Airbus sur l’Hudson.
Pour les partisans de Wikipédia et Twitter, la cause est entendue : ces sites sont des moyens d’améliorer le dialogue et, partant, la compréhension entre les peuples. Mais en les parant ainsi de mille vertus, ne risque-t-pas de brûler par la suite ce qu’on tant a adoré ?
De fait, ces sites possèdent nombre de détracteurs. Ceux qui sont nés avant la révolution numérique, rejoints par les médias dits traditionnels qui voient en ces sites de dangereux concurrents, ont beau jeu de souligner les lacunes de sites qui n’en sont encore qu’à leurs balbutiements.
On reproche à Wikipédia son exhaustivité qui place sur le même pied un article sur l’Histoire de France et le récit du dernier manga en vogue. On dénonce les possibles fraudes et les détournements d’articles. En réalité, ceux qui critiquent Wikipédia n’ont pas intégré son mode de fonctionnement : c’est à celui qui relève les erreurs d’un article de les corriger. Pourtant, on continue d’interdire aux enfants de se servir de Wikipédia, au lieu de leur apprendre à utiliser avec discernement ce nouvel outil. Ne reste alors qu’un sentiment général de défiance, au détriment de l’esprit critique qui devrait permettre de séparer le bon grain de l’ivraie.
Les déçus de Twitter ne manquent, eux, pas d’arguments : les discussions y tiennent davantage des discussions de comptoir que du Café de Flore, et le fait de s’en tenir à 140 caractères, espaces compris, n’est pas sans favoriser une certaine paresse intellectuelle, et la superficialité qui va avec. Encore que ce dernier point soit discutable, la concision n’étant pas en soi pas un défaut. Nous avons tous fait cette expérience : nous pestons contre les sujets de rédaction imposés, tout en restant en panne d’inspiration lorsqu’on nous laisse libre choix du sujet.
Quant à Facebook, qui est essentiellement critiqué pour les problème de respect de la vie privée qu’il pose, j’ai déjà eu l’occasion ici et là de dire tout le mal que j’en pensais, il ne me paraît pas nécessaire d’y revenir.
A l’heure de conclure
Loin de n’être qu’une lubie de technophile, l’importance croissante que l’on accorde aujourd’hui à des sites comme Twitter, Wikipédia ou Facebook, et l’importance des espoirs que beaucoup placent en eux, tendent à montrer qu’ils sont les véritables projets utopiques actuels.
J’ignore si Thomas More aurait été un fidèle contributeur de Wikipédia, ou Tommaso Campanella complètement accro à Twitter. Il y a peu de doutes que tous deux auraient possédé un profil sur Facebook. Blague à part, le fait que naissent de nouvelles utopies à notre époque que l’on prétend si cynique ne laisse pas de me surprendre. Alors tant pis si derrière les belles idées, ce n’est jamais rien que des mots, avec toutes les imperfections que cela sous-entend : une société qui ne croirait plus en rien serait à mon sens autrement plus inquiétante.