samedi 12 décembre 2009

It’s in the game

Oblivion 2009-08-09 22-13-44-27 Le chiffre d’affaires des jeux vidéo dépasse depuis plusieurs années celui de l’industrie du cinéma. Il est pourtant encore loin d’avoir obtenu ses lettres de noblesse. Sans doute parce la pratique vidéo ludique reste encore et toujours associée dans le meilleur des cas à un public d’ados boutonneux jouant dans leur coin, au pire à des psychopathes qui y trouvent le lieu idéal pour préparer leur prochain carnage scolaire. Si bien des jeux ne brillent pas précisément par leur originalité et se résument à tirer frénétiquement sur tout ce qui bouge, cette image reste tout de même assez réductrice. Il ne viendrait à personne l’idée de condamner la télévision dans son ensemble en se fondant sur l’indigence des programmes de TF1. Peut-être le temps est-il venu aussi pour les jeux vidéo de séparer le bon grain de l’ivraie ? A l’heure des fêtes de fin d’année et des cadeaux qui les accompagnent, l’occasion est belle de faire un retour sur quelques jeux qui, chacun à leur manière, ont marqué leur époque.

La liberté…

La différence essentielle jeu vidéo et film tient au fait que c’est le joueur qui tient le premier rôle et participe à l’action. Dès lors, la qualité essentielle d’un jeu vidéo réside, pour moi, dans la liberté qu’il laisse au joueur. La plupart des jeux sont constitués d’un long couloir qui mène vers la sortie du niveau et que le joueur est plus ou moins conscient d’emprunter, suivant le talent des développeurs. Pratiquement tous les jeux de tir, Medal of Honor et Call of Duty en tête, reposent sur ce principe : le joueur est sur un rail dont il ne peut guère s’écarter, sous peine de se cogner à un mur invisible ou de se heurter au fatidique game over. Pour éviter la lassitude, les développeurs ont recours à des scripts, c'est-à-dire des événements qui se déclenchent lorsque le joueur passe à un endroit bien précis. Malheureusement, ces derniers, aussi efficaces soient-ils, rendent toute rejouabilité illusoire et ne remplacent pas une intelligence artificielle réellement crédible.

A l’inverse, des jeux comme Deus Ex ou Thief permettaient au joueur d’aborder sa mission à peu près comme il l’entendait. Dans Thief, de façon incompréhensible rebaptisé Dark Project en français, le joueur incarnait Garrett, maître voleur de son état. En bon monte-en-l’air, il préférait commettre ses forfaits dans l’obscurité, tapi dans l’ombre. Le bougre n’a en effet rien d’un colosse, si bien qu’il valait mieux éviter tout accrochage avec l’adversaire sous peine de mort rapide. L’action prend, elle, place dans un monde médiéval-fantastique aussi sinistre que cynique. Chaque mission démarre sur un mode similaire : votre avatar se trouve aux abords d’une imposante bâtisse, à vous d’y pénétrer, d’y dérober un précieux artefact, de vous remplir les poches au passage si vous le souhaitez, enfin de quitter les lieux sans vous faire remarquer. Tenter le passage en force par la grande porte, passer par les toits ou s’introduire par les égouts, pratiquement toutes les solutions sont envisageables, sachant que le chemin qui semble le plus évident est rarement le meilleur. A vous de voir si vous souhaitez employer la violence ou privilégier une approche furtive en évitant les rondes des gardes. Même si c’est parfois difficile, il est tout à fait possible de terminer les missions sans faire usage de la violence. Armé de son arc, son épée et son gourdin, Garrett est un voleur, pas un assassin : rarement vu, jamais pris est sa devise.

750px-Darkmessiah_dragonfire Même si l’on retrouve similitudes avec Dark Project, l’intérêt de Dark Messiah, first person shooter mâtiné de jeu de rôles sorti en 2006, est tout autre. Impossible de perdre son chemin dans Dark Messiah : suivez la flèche, c’est tout droit. Avant de pénétrer dans une nouvelle salle, le rituel est toujours le même : examiner la configuration des lieux pour y déceler les éléments du décor dont nous pourrons tirer parti pour occire notre prochain. Les niveaux sont conçus de telle manière qu’il y ait toujours un précipice ou un feu de camp pour y balancer ses adversaires, voire des pièges que l’on prend un malin plaisir à déclencher après y avoir attiré notre victime du jour. Mais le fin du fin consiste à combiner plusieurs éléments pour en faire un traquenard mortel, comme par exemple enflammer de l’huile au préalable renversée sur le sol. Décapitations, empalements et j’en passe, dans son genre, Dark Messiah pousse le sadisme assez loin. La morale est sauve puisque le bestiaire est constitué essentiellement de morts-vivants, orques, gobelins et autres viles créatures issues de l’heroïc fantasy.

…au service de l’amoralité

J’ai parlé de liberté sur le plan de la progression, mais la latitude qui est donnée au joueur concerne aussi son orientation morale. La plupart des jeux nous imposent dès le départ d’incarner un héros positif chargé de débarrasser le monde de ses pires engeances. Ils sont rares, les jeux plaçant le joueur aux commandes d’un personnage explicitement mauvais. la série des Grand Theft Auto est à ma connaissance une des seules, ce n’est pas par hasard si elle rencontre un tel succès. Jeu immoral par excellence, il nous oblige à poser des actes qui seraient illicites dans le monde physique pour atteindre les objectifs de mission.

Dans les faits, la plupart du temps, c’est encore les développeurs qui déterminent l’alignement du joueur. Mon jeu idéal serait totalement amoral, c'est-à-dire qu’il laisserait au joueur le soin de décider de son orientation vers le bien ou le mal , et dans les deux cas le mettrait face aux conséquences de ses actes, de ses éventuels « mauvais » choix. En conservant son libre arbitre, le joueur devrait alors se poser la question : jusqu’où suis-je prêt à aller pour remplir ma mission ? C’était le cas de Fallout. Plus proche de nous, Jedi Knight : Jedi Academy, jeu d’action utilisant l’univers de Star Wars, laissait le joueur libre de choisir son orientation à la fin du jeu. Vous laisserez-vous corrompre par le côté obscur de la force ? Plus généralement, beaucoup de jeux de rôles laissent également au joueur une part de liberté dans ses actions, ce qui va directement influencer ses rapports avec différentes factions du jeu.

Du rêve…

AssassinsCreed_Dx10 2009-06-02 21-35-58-26 Devenir champion du monde des rallyes, gagner la coupe du monde de football, incarner un assassin au temps des croisades, un tueur à gages ou bien encore un puissant sorcier. Au fond, n’est-ce pas cela que l’on demande à un jeu : nous permettre de faire des choses irréalisables dans le monde physique ? Ce n’est pas par hasard que la plupart des jeux demandent au joueur qu’il prenne part à des actes de violence. Ce qu’il serait socialement inacceptable de faire en vrai, est admissible dans le jeu, parce que ni le joueur ni des tiers n’ont à supporter – physiquement - les conséquences de leurs actes. La mort ne dure que le temps de recharger le niveau. Aussi, ceux qui pensent qu’un personne normalement constituée peut en arriver à confondre les jeux vidéo et la réalité surestiment-ils largement le réalisme des dernières réalisations vidéo ludiques.

Ma théorie se tient dans l’ensemble, mais elle n’explique pas le succès des Sims. Quel intérêt peut-on trouver à simuler ce qu’on peut réaliser dans la vie de tous les jours ? J’ai déjà eu l’occasion de dire que cela restait un grand mystère pour moi. Le fait qu’il s’agisse typiquement du genre de jeu pratiqué par les personnes qui jouent occasionnellement tendrait à indiquer que c’est l’exception qui confirme la règle, mais j’admets que je suis peut-être de mauvaise foi.

… à la réalité

Le jeu vidéo est encore trop souvent considéré comme un simple divertissement, dans le meilleur des cas comme un art mineur. Et pourtant, au niveau des budgets de développement comme du chiffre d’affaires, ce secteur est en plein croissance. Hélas, cette évolution s’est faite au détriment de l’inventivité. Après une période de forte créativité, le jeu vidéo se trouve actuellement partagé entre deux tendances : d’un côté, la volonté de conquérir les joueurs occasionnels, avec la vogue des Guitar Hero, Wii Sports et compagnie ; de l’autre, celle de flatter la rétine des hardcore gamers, avec des titres tels que les derniers Call of Duty qui jouent sur la surenchère hollywoodienne, sans apporter grand-chose en termes de jouabilité. Bien sûr, tout espoir n’est pas perdu, voilà quelques mois a été annoncé le développement de nouveaux volets pour les séries Thief et Deus Ex. Néanmoins, le fait qu’il s’agisse de suites est là aussi symptomatique de la tendance actuelle : minimisation du risque, maximisation des profits.

Pourtant, créer un niveau de jeu vidéo est un art à part entière, que sa vocation ludique ne rend pas moins respectable que la peinture, la sculpture ou même la littérature. Il est tout à fait possible de créer des jeux intelligents, qui posent des questions sur notre société, et font réfléchir leur utilisateur. Viendra ce temps, à mon sens inévitable, où l’on parlera de jeux vidéo d’auteur comme pour le cinéma. Il ne tient qu’à nous, par nos choix dans les rayons, d’en accélérer l’émergence. Là où il y a une demande, il finit toujours par y avoir une offre.

3 commentaires:

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Sammy a dit…

Tout à fait d'accord. Pour les FPS "de couloir", j'aurais plutôt cité Half-Life, qui peut être considéré, si ce n'est comme le père fondateur du genre, du moins comme un glorieux ancien.

Je n'ai jamais accroché à Thief/Dark project ; j'ai trouvé l'histoire sympa, mais j'ai regretté que la réalisation (du point de vue de la maniabilité surtout) ne soit pas à la hauteur, surtout en comparant à la série Splinter Cell qui exploite les mêmes principes.

Dark Messiah est tout simplement excellent, pour ma part il me fait penser à un Oblivion où il n'y aurait que des combats...

Je n'ai jamais joué à Grand theft auto, sans doute parce que je n'arriverait pas à jouer un "mauvais" ? Même dans kotor je n'arrive pas à passer du côté obscur, c'est dire... ^^ (vu que tu parles de Jedi academy, je suppose que tu connais kotor ; si ce n'est pas le cas, fouilles tes poches et trouves 15 euros, il doit être possible de le trouver à ce tarif maintenant)

Au passage Jedi Academy, c'était vraiment sympa aussi ; il existe d'ailleurs des sites internet (en anglais) proposant des add-ons pour le jeu, je me souviens notamment d'un truc complétement fou consistant en une suite post-jeu : il fallait d'abord finir le jeu du côté obscur (je me contredis donc : j'ai été du côté obscur au moins une fois !), puis on se retrouvait trahi par ses anciens amis sith, d'où prise de conscience que le côté obscur n'est pas si bien, et évasion pour rejoindre les gentils... Je dois confesser que l'on est finalement assez loin de l'ammoralité que tu appelles de tes voeux...

Sarpedon a dit…

C'est amusant que tu parles d'Oblivion, j'avais entamé ce jeu il y a de cela quelques mois suite à l'article que tu avais consacré à ce jeu.

Et pour la petite histoire, je pense m'être jusqu'ici plutôt bien comporté, ce qui n'exclut pas quelques menus larcins dans les riches demeures de la Cité impériale...

Si l'on part du principe que les jeux tendent à imiter de mieux en mieux le monde physique - je n'aime pas parler de monde réel - alors il est logique qu'ils laissent toute latitude au joueur quant à son orientation morale. Après tout, dans le monde physique c'est essentiellement notre libre arbitre qui guide nos actions chaque jour. En tout cas, j'aime à le croire. Évidemment, mettre en place un tel jeu demande un travail colossal, ce qui explique que les œuvres de cette trempe ne soient pas légion.

Maintenant soyons de bons comptes. Quelles que soient les possibilités offertes par le jeu, je pense que l'on finit toujours par en revenir à une attitude moralement acceptable, même en sachant que lorsque "rien n'est réel, tout est permis."

C'est logique, la fiction se rapproche du monde physique, avec les interdits qui s'y rattachent. Ce qui ne contredit en rien ce que j'avançais plus haut : l'important est de mettre le joueur devant ses responsabilités.