En parcourant les titres de mes derniers billets, je me rends compte que je n’ai jamais évoqué un monument du paysage audiovisuel belge. Je veux parler de « Place royale », l’émission qui passe en revue l’actualité des têtes couronnées de Belgique et d’ailleurs et dont le titre est inspiré de la célèbre place éponyme de Bruxelles qui jouxte le Palais Royal.
Pendant que la Flandre crie chaque jour un peu plus son dégoût de la chose monarchique, les francophones, quant à eux, se rassemblent une fois par semaine devant leur petit écran pour suivre, des étoiles dans les yeux, les derniers déplacements des femmes et des hommes de sang bleu. Rien ne vous sera épargné : des visites d’entreprises du monarque aux déplacements les plus périlleux pour l’héritier de la couronne, en passant par les indémodables visites de homes, orphelinats et ateliers protégés pour la reine. Il en faut pour tous les goûts.
Et la présentatrice, coiffure au cordeau et sourire distingué de rigueur, aussi guidée que son décor est vieillot, de lancer les sujets d’une voix monocorde propre à faire s’assoupir le plus zélé des royalistes. Le cérémonial est immuable : générique de musique classique flatteuse pour la touche de chic, puis cette phrase culte, toujours la même : « Bonsoir, et bienvenue dans la somptueuse demeure du duc et de la duchesse… » Suit un improbable nom à charnières multiples qu’on dirait tout droit sorti d’un livre d’Histoire. Le tout sur fond d’images bucoliques des jardins de ladite propriété de « néo-classique-romantique-Louis XV. » Le reste est à l’avenant, toujours dans le plus pur style hagiographique. La reine qui fête se quatre-vingts ans mais reste « toujours jeune et toujours de bonne humeur », le roi dont le sens de l’humour fait des ravages, la princesse qui a toujours les toilettes les plus élégantes.
Vous qui venez pour entendre des ragots, passer donc votre chemin. Ici, on n’évoque aucun sujet qui fâche. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, tout le monde est beau, tout le monde est gentil. Ce n’est pas la présentatrice qui se chargera de glisser des peaux de banane sous les souliers du monarque, trop occupée qu’elle est à passer la brosse à reluire. Flagornerie à tous les étages et courbettes en tous genres sont de rigueur. Entretenir de bonnes relations avec le gotha était sans doute à ce prix.
Personnellement, je ne sais trop s’il faut rire ou pleurer devant ces images du Prince Charles d’Angleterre flegmatique à souhait au milieu des guerriers maoris ou ces reportages complètement apprêtés de bonheur familial où même les sourires semblent artificiels. Les contes de fées n’existent pas, qu’à cela ne tienne, la télévision est là pour en inventer. Et qu’importe si la reine mère est alcoolique, le prince héritier un coureur de jupons et le roi plus préoccupé par la taille de son nouveau bateau que par le sort de son pays.
La recette marche tellement bien que la télévision publique a décidé il y a quelques années d’adopter une formule similaire, sous la forme de « C’est du Belge. » Une bonne dose de superficialité, du rêve, des paillettes. Que demande le peuple ?
En France, pays des Lumières et des droits de l’Homme, on ne devrait théoriquement pas s’arrêter sur si peu de choses. Une France qui pourtant n’a de cesse de se passionner pour les reines et les rois depuis qu’elle a coupé la tête du sien. Il n’y a qu’à voir le traitement qu’elle réserve à la famille princière de Monaco. Cela n’aurait rien d’étonnant si cet attrait ne touchait pas aussi les plus hautes sphères de l’Etat. Même Nicolas qui peine à enfiler le costume de président au dessus de la mêlée a trouvé chaussure à son pied et princesse à la mesure de sa démesure. La royauté faisait figure de repoussoir pour les Romains qui vivaient sous l’Empire, les Français qui vivent sous la République se passionnent pour les rois et reines. Allez comprendre.
Cela étant, si l’intérêt porté à la chose royale ne se dément pas de part et d’autre de Quiévrain, il se manifeste de manière fort différente. Les Belges francophones s’arrêtent à la grille du domaine royal, quitte à détourner le regard devant certaines interrogations bien légitimes car déterminant le futur du pays, quand les Français frappent déjà à la porte de la chambre à coucher de leur président. Des deux attitudes, j’ai peine à distinguer laquelle est la plus méprisable.
Pour finir sur une note plus positive, la Place royale, la seule, la vraie, celle de la photo, abritera bientôt un musée dédié au peintre Magritte. Le surréalisme a encore de beaux jours devant lui.
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