Ils changent de téléphone portable tous les six mois, roulent en 4x4 parce que c’est plus pratique pour escalader les trottoirs et vont au cinéma pour rire des blagues de potaches d’Eric et Ramzy, entre une bouchée de pop-corn et une rasade de Coca. Ils écoutent du R&B parce qu’ils ne connaissent rien d’autre et connaissent par cœur les paroles de tous les hits du moment sans les comprendre. Leur seul critère musical est la nouveauté : ils n’écoutent aucune chanson qui ait plus de six mois. A quoi bon, tout ce qui est plus ancien est forcément dépassé et bon à jeter.
Ils ont entendu parler de tous les livres même s’ils n’en ont lu aucun. Lire c’est du temps perdu qu’on aurait pu passer devant la télévision. Du journal, ils ne connaissent que la page horoscope sur laquelle ils se jettent avec avidité. Ils pleurent sur le pouvoir d’achat devant leur écran TV 102 cm LCD dernier cri en regardant PPDA marmonner les dernières hécatombes. Ils ne comprennent pas qu’on puisse regarder plusieurs journaux télévisés « puisqu’ils donnent tous les mêmes informations. » Ils détestent l’art sous toutes ses formes parce qu’ils ne le comprennent pas, et que s’ils ne comprennent pas quelque chose c’est forcément parce qu’il n’y a rien à comprendre.
Ils ont des avis sur tout mais ne s’intéressent à rien. Ils pensent qu’ils ont toujours raison car ils pensent comme tout le monde. Ils sont fiers d’exhiber leur iPhone, payé au prix fort sur l’internet, même s’ils sont incapables de s’en servir. Ils brûlent aujourd’hui ceux qu’ils ont adorés hier, comme ils adoreront demain ceux qu’ils ont brûlés aujourd’hui. Leur monde est peuplé d’idoles éphémères, étiquetées téléréalité jusqu’à la date de péremption. Peu importe, ils ont déjà oublié leur passé et n’ont aucune vision de ce que pourrait être demain. Leur ambition se résume à défendre leurs précieux acquis, leur rêve à nager avec les dauphins.
Ils critiquent les politiciens, même s’ils ne sont jamais allés voter. Et puis, il y a tous ces immigrés. Ils ne sont pas racistes, mais ne verraient pas leur départ d’un mauvais œil. Ils croient en Dieu lorsqu’ils ont besoin de lui, ça ne peut pas faire de tort après tout. Ils donnent aux pauvres mais fraudent le fisc sans remords. Ils se plaignent des taxes mais réclament sans cesse de nouvelles prestations sociales. Ils fustigent la saleté des rues pendant que Médor se soulage devant l’entrée du pavillon d’à côté.
Ils voyagent dans des pays exotiques parce que la Grèce et l’Espagne ne sont pas assez loin. A l’autre bout du monde, ils découvrent d’autres cultures depuis la piscine de leur hôtel quatre étoiles all inclusive où ils se goinfrent du matin au soir et du soir au matin : « il faut en profiter, puisque de toute façon tout est à volonté. » Leur vision de l’authenticité se résumé à quelques danses traditionnelles exécutées à la va-vite suivie d’un repas adapté aux goûts occidentaux, de manière à confirmer tous les clichés sur leur pays de villégiature. Après quinze jours de ce régime, ils reviennent chez eux avec la satisfaction du devoir accompli, convaincus d’avoir œuvré au rapprochement des peuples.
Le banc solaire est leur seconde maison. Le paraître, leur religion. Ils ne sont pas idéalistes, ils ne l’ont jamais été. Ils ne respectent que l’argent. Ils croient aux forces occultes car il faut être« ouvert d’esprit. » Ils sont convaincus que l’Homme n’a jamais marché sur la Lune, que le SIDA a été inventé par les Américains et que le 11 septembre est un complot des services secrets et regardent d’un air condescendant tout qui n’adhère pas à leurs théories.
Ils sont plus bêtes que méchants, et plus à plaindre qu’à blâmer. Ils remplissent leurs armoires de tout ce qu’ils n’ont pas dans la tête, saturent leur existence d’activités pour oublier qu’elle n’a aucun sens. Ils sont la majorité et ils en sont fiers. Ils ne sont pas seuls, même s’ils ne s’en rendent pas compte. De fait, ils n’ont aucun recul sur leur condition. Quelquefois, devant leur clavier, un éclair de lucidité.
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