Il est de ces révolutions qui passent pratiquement inaperçues, mais n’en changent pas moins notre rapport au Monde et à autrui. Désormais tout le monde dispose d’un appareil photo sur lui et plus rien ne sera plus jamais pareil.
Si les attentats du 11 septembre avaient pris place en 2008, nul n’aurait pu contester la version officielle devant l’avalanche de vidéos amateurs tournées à l’aide de téléphones portables montrant les impacts et la thèse du complot aurait été tuée dans l’œuf. Seulement voilà, à l’époque les téléphones n’étaient pas encore équipés d’appareil photo, ou du moins cette fonction était-elle encore marginale. Est-il besoin de rappeler que les seules images connues de l’impact des avions dans les tours jumelles du World Trade Center sont le fait des frères Naudet, ce qui permet aux thèses conspirationnistes les plus farfelues sur l’origine de l’effondrement des Twin Towers de prospérer.
On remarque déjà une évolution avec les attentats de Londres en 2005 : les londoniens se rendant au travail et qui étaient dans les rames ont filmé avec leur téléphone portable les premières images des tunnels dévastés par les explosions, bien avant que les journalistes puissent se rendre sur les lieux. Les clichés des suspects arrêtés par la police sont eux aussi l’œuvre d’un amateur qui était au bon endroit au bon moment. Ils furent vendus (à prix d’or ?) en exclusivité à un journal britannique. Depuis, des agences se sont spécialisées dans un rôle d’intermédiation entre citoyens qui prennent des clichés et professionnels de l’information. Les agences de presse traditionnelles commencent elles aussi à comprendre tout le bénéfice qu’elles peuvent tirer d’un partenariat avec les amateurs créateurs de contenus.
Désormais tout un chacun peut immortaliser pour la postérité les petits et les grands événements de la vie quotidienne, quand l’Histoire s’invite au coin de la rue. Cela a de bons côtés, ainsi on les protagonistes d’un accident de la circulation peuvent prendre des clichés de leurs véhicules de manière à couper court à toute contestation. On peut aussi faire profiter ses connaissances de l’ambiance du denier concert auquel on a assisté, encore que je ne sois pas convaincu que le type sur scène soit enchanté de la démarche, mais c’est un autre débat.
Revers de la médaille, il y a fort à parier qu’un automobiliste se serait arrêté dans le tunnel du Pont de l’Alma pour photographier le corps inerte de la princesse Diana. Il n’est toutefois pas nécessaire de se laisser aller à des conjectures pour voir les effets pervers de cette nouvelle technologie. La vie des stars sera de plus en plus invivable, sachant que n’importe quel passant pourra les prendre en photo au restaurant ou même en pleine rue. Le happy slapping, pratique consistant à filmer l’agression physique d’une personne à l’aide d’un téléphone portable, est quant à lui d’ores et déjà une réalité.
En soi, une technologie n’est ni bonne ni mauvaise, tout dépend les gens décident d’en faire. Puisqu’il n’est ni possible ni souhaitable de contrôler en permanence ce que tout un chacun filme ou photographie, nous voila bien obligés de nous en remettre au discernement de chacun.
On est vraiment mal barrés.
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