lundi 15 octobre 2007

Deus ex machina

Tout est tellement confus dans mon esprit, à vrai dire je ne sais par où commencer. J’ignore précisément quand le contrôle de la situation nous a échappé. Tout s’est passé si vite, personne n’a eu le temps de réaliser. Avec le recul je me rends que les signes avant coureurs étaient visibles depuis longtemps. Aussi, ne puis-je pas dire que la situation actuelle est vraiment une surprise.

Tout d’abord et même s’il même coûte, je dois saluer la compétence de vos savants. Les prédictions de Hubbert se sont révélées dans une large mesure exactes. Le pic de la production de pétrole a été atteint il y a de cela vingt ans. Bien sur, les progrès techniques ont permis de préserver durant quelques années le niveau de la production. La fonte des glaces aidant, les compagnies ont pu atteindre des gisements restés jusqu’alors inaccessibles. Cela n’a eu qu’un temps et le prix du baril a commencé à grimper. De manière progressive d’abord, puis de façon beaucoup plus brutale. Nous en avons connu des dimanches sans transports individuels, puis des week-ends sans transports. Enfin plus de transports du tout. L’or noir n’avait sans doute jamais aussi bien porté son nom.

Désormais le problème du pétrole est devenu accessoire. Il faut dire qu’on a pas mal de soucis avec l’approvisionnement en eau. Pour moi qui n’ai connu que le rationnement, je ne me plains pas. Pour les anciens, ce n’est pas la même chose. Ils ont connu l’avant. Bien sûr, le gouvernement a essayé d’interdire la production d’eau en bouteille mais les gens n’ont fait qu’en stocker davantage chez eux, accentuant encore le problème. D’autres mesures ont été prises, mais rien n’y a fait, la ressource s’épuisait et ce n’est pas la chaleur suffocante qui régnait la plupart du temps qui allait améliorer la situation. De toute façon, le point de non-retour avait déjà été atteint depuis longtemps.

En réalité, tout a commencé quand les pays industrialisés se sont entredéchirés pour obtenir des concessions sur les pôles afin d’exploiter leurs ressources fossiles. Aujourd’hui, plus personne ne sait vraiment comment cela a commencé. Je crois me souvenir qu’un historien a évoqué un sous-marin russe plantant le drapeau sur le fond de l’océan Arctique. J’ai peine à croire que le conflit meurtrier qui allait suivre ait débuté de la sorte. Tout cela paraît tellement irréel.

Je relis ces quelques lignes pour me rendre compte que je n’ai pas pris la peine de me présenter. C’est peut-être mieux ainsi. Ainsi nous sommes deux à ignorer tout l’un de l’autre. Je ne connais pas, tu ne me connais pas. Si tu réceptionnes ce message, il faudra y voir la main du destin et rien d’autre. Nous sommes capables d’envoyer des données dématérialisées dans le passé. Des données virtuelles seulement. Le temps nous manque pour développer la même application pour les hommes. Je peux mettre en sécurité cette lettre, mais je ne peux rien faire pour sauver ma peau. Ultime ironie du sort qui fait de nous les sauveurs potentiels de ceux qui ont causé notre perte à titre posthume.

Souvent je me dis que j’agis en pure perte. J’essaie de me raccrocher à l’idée que quelqu’un lira ce message et le fera circuler. Au fond de moi, je sais que c’est presque impossible. J’ai bien essayé de récupérer un listing d’adresses sur un support magnétique mais la plupart des données étaient trop endommagées pour être lues. En désespoir de cause, j’ai bricolé un petit programme qui permettrait d’envoyer ce texte à toutes les combinaisons de signes possibles, de manière à maximiser les chances de contacter une adresse valide. En fait, je m’en remets exclusivement à la bonne fortune. Le hasard sauvera le monde ou le monde ne sera pas sauvé, voilà quelle pourrait être la morale pathétique de cette histoire. Il est vrai qu’il suffirait d’une adresse qui fonctionne pour tout changer. Au fond, j’ignore pourquoi je m’en soucie, cela ne changera à ma situation. Peut-être un vague de relent de ce que vous appeliez l’humanité.

Je ne prétends pas te dire ce que tu as à faire. Moi-même, si j’en suis là, c’est parce que nous avons échoué. N’espérez pas quitter cette planète devenue invivable, nos meilleurs scientifiques planchent sur la question depuis des décennies sans résultats tangibles. La solution ne viendra pas non plus du ciel. Rien à attendre de ce côté. Ce coup-ci, vous êtes tous seuls.

Qui suis-je pour tenir un tel discours ? Mon nom n’a pas d’importance. Le fait est que d’une manière ou d’une autre, je suis ton fils. Ton héritier qui n’a pas eu le choix de refuser l’héritage que tu lui as laissé. Tu ne me dois rien et je ne te dois rien. A part peut-être la situation dans laquelle je suis. Bien sur, je sais qu’il n’est pas dans l’ordre des choses qu’un fils sermonne son père ; ce n’est d’ailleurs pas mon intention. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque : vous ne pouviez pas savoir. Moi, de là où je suis, je peux te dire comment tout finit, nos chercheurs l’ont calculé de manière irréfutable.

Je ne te dirai pas la fin. Je ne veux pas te décourager, ni te donner de faux espoirs. Et puis de toute façon je ne suis pas sûr que tu aies envie de l’entendre. Sache seulement que nos experts ont fixé l’apogée de l’humanité et donc de la Terre vers 2020. Le point de non-retour en quelque sorte. Passé ce cap, le probable devient l’inéluctable.

Le temps me manque, et il est me faut mettre un terme à cette lettre. Donne-lui la plus grande diffusion possible, s’il en est encore temps. S’il est déjà trop tard, détruis-la sans délai, n’en parle jamais à personne et oublie jusqu’à son existence. Un homme peut survivre plusieurs semaines sans manger, quelques jours sans boire. Il ne saurait survivre à brève échéance sans espoir.

Nodepras

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