samedi 16 mai 2009

Eastpak, Converse et autres dictateurs

Si on parle de code vestimentaire, c’est sans doute parce que les non-initiés n’y comprennent rien. Difficile en effet de prendre la mesure d’un phénomène sans en avoir été partie prenante à un moment où un autre de son existence. Ce qui n’empêche pas fort heureusement d’ironiser sur ses propres travers.

485px-Eastpak1J’ai vu des filles, la démarche mal assurée, se déguiser en femmes, perchées sur des talons trop hauts pour elles. J’ai croisé des mamans qui voulaient se faire passer pour des adolescentes, dans une subtile confusion des genres qui ne dit pas son nom. Je me suis assis en face de clones de quinze ans, une mèche de cheveux dans les yeux, la tête enfouie dans leur col d’où dépassent juste deux écouteurs immaculés. Baskets Converse, pantalon Levi’s, la panoplie du parfait lycéen laisse peu de place à l’originalité. Avec comme touche finale l’incontournable sac à dos customisé de teinte anthracite, vert, rouge, kaki, noir ou gris, peu importe. Toutes les nuances sont admises pourvu que ce soit un Eastpak.

Je souris quand j’entends les nostalgiques de l’uniforme dans les cours de récréation. Pourquoi imposer une tenue spécifique quand une large majorité de jeunes a déjà adopté spontanément des vêtements semblables ? Désormais, la ségrégation ne se fait plus sur la couleur de la peau ou l’origine mais en fonction de la tenue vestimentaire. Saluons ce progrès : la discrimination est devenue une notion purement rationnelle et objective. Si l’on ne choisit pas sa famille, chacun est libre de porter les vêtements qu’il souhaite. Ironiquement, les marques ont donc fait beaucoup plus pour l’égalité des chances que n’importe quelle politique initiée en haut lieu.

Tant pis pour ceux dont les parents ne pourront pas suivre. Les jeunes, qu’on présente le plus souvent comme réfractaires à toute forme d’autorité, sont parfois d’un tel conformisme qu’ils n’ont de cesse d’écarter ceux qui sortent des sentiers balisés. C’est qu’ils ont été à bonne école et sont bien conscients du fait que les marques nous marquent à la culotte et nous collent à la peau comme autant d’inaltérables étiquettes. Alors, lucides, ils tracent leur propre voie en marchant dans nos traces. Il y aura dans un premier temps la tribu à la virgule, ensuite ils croqueront la pomme, puis viendra le temps des anneaux et des étoiles. Voilà comment, lucides, ils suivent le troupeau avec, tatouée quelque part au fond cerveau, la conviction largement vérifiée que les marques leur permettront à tout âge de faire partie de la tribu qu’ils ne trouvent plus ailleurs.

Grégaires on vous dit, mais avec le bon goût d’oublier d’être bêtes.

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5 commentaires:

Ink a dit…

Quand j'étais ado, c'était Addidas et sac US de rigueur.
Rien de nouveau dans le côté "uniforme" des tenues des jeunes. Mais les marques sont chères...et font surtout leur loi dans les milieux les moins favorisés (banlieues)...

Oneshot a dit…

C'est le modèle de base instauré par Babylone, c'est comme ça ...

Sarpedon a dit…

@Ink

En effet, les marques à la mode ont changé, pas le pouvoir d'attraction des logos.

@Oneshot

Merci pour ton commentaire, mais qu'entends-tu précisément par "Babylone" ?

Sammy a dit…

Excellent billet, comme d'habitude, avec lequel j'ai enfin rattrapé mon retard en ces lieux.

Je pense qu'un jour, il faudra qu'un anthropologue, un Levi Strauss du futur, pour l'anecdote et la coïncidence avec la célèbre marque (savais-tu que l'on téléphone encore de temps en temps à cet honorable vieux monsieur pour lui demander l'adresse de son magasin de jean's ? Et le plus sérieusement du monde encore), se penche sur nos coutumes, nos rites, nos tribus. Il y a aura des découvertes intéressantes à consigner.

Sarpedon a dit…

Au moins, Pierre Bourdieu, sociologue de son état, n'a pas ce problème là.

Bourdieu. Encore que ça sonnerait bien comme nom, pour désigner une nouvelle religion par exemple.