L’été n’a pas été particulièrement chaud, c’est le moins que l’on puisse dire. Pas de canicule en vue, on pouvait donc légitimement s’attendre à une accalmie dans la vague de décès qui survient généralement à cette période de l’année. Il n’en a rien été. On est encore décédé en masse cet été : Michel Serrault, Monseigneur Lustiger, Jacques Martin, maintenant Colin McRae, sans compter tous ceux que j’oublie.
Ces disparitions sont généralement l’occasion pour les médias de réhabiliter certains qui de leur vivant n’ont pas fait l’unanimité, d’encenser encore un peu plus les autres. Procédé malsain s’il en est, qui revient à faire d’un simple mortel, un saint par le simple fait de sa mort. La télévision canonise les hommes en direct, sans autre forme de procès. Alors on y va, on étale le sirop, à la louche, jusqu’à l’écœurement. Tous des braves, des visionnaires, des « hommes de dialogue. » Tous proclamés exceptionnels dans un grand mouvement de nivellement par le bas. Après tout, quand tout le monde est exceptionnel, plus personne n’est vraiment unique.
Toute cette agitation médiatique prend sa source dans la superstition populaire. Comme si les morts allaient revenir hanter qui aurait le malheur de salir leur mémoire. Quelle mémoire puisqu’ils sont morts ? Qui peut encore décemment croire à ces histoires. Un mort n’a jamais tué aucun vivant, pas même Toutankhamon. Quant à l’argument selon lequel on devrait s’abstenir de critiquer les personnes décédées sous prétexte qu’elles ne sont plus là pour se défendre, je ne vois pas ce qu’il vient faire là dedans car de toute manière une célébrité n’a aucun moyen de répondre aux sarcasmes dont elle l’objet dans les conversations entre quidams. Remarquez au passage tout le paradoxe qu’il y a à croire en une funeste malédiction posthume et dans le même temps soutenir que les disparus ne peuvent lutter contre les langues de vipère de ceux qui leur ont survécu.
On parle tout le temps de respect dû aux morts. Comme s’il y avait une forme de respect spécifique qu’il fallait respecter à l’égard de nos ancêtres. Pourquoi faudrait-il attendre que les gens décèdent pour leur témoigner du respect ? En quoi le fait de dire ce que l’on pense d’une personne décédée, fut-ce négatif, serait-il un manque de respect. Je me demande où se situe le manque de respect : se taire par souci du « qu’en dira-t-on » ou rester sincère et objectif. Au fond, le respect dû aux morts n’est rien de plus que de l’hypocrisie socialement valorisée. Du pire des hommes, la mort en fait un saint. Comme c’est commode. Pourtant il est inutile d’encenser des morts qui ne sont plus là pour l’entendre. Et critiquer une personne décédée n’a jamais blessé son orgueil, tout au plus celui de ses proches. En fait, les gens font tout à l’envers. Ils devraient dire tout le bien qu’ils pensent des gens de leur vivant. Quand à ce qu’ils pourraient dire de négatif par après, c’est un crime sans victime. Mais nous faisons à peu près tous exactement le contraire. On préfère se déchirer entre vivants, pour se rendre compte de tout le bien qu’on pensait de la personne qui nous a quitté après sa disparition. Quand il est trop tard.
Le problème vient de ce que les gens confondent respect et adoration aveugle. On peut parfaitement émettre des réserves sur une partie de l’œuvre de tel artiste sans pour autant être un pilleur de sépulture. On ne peut pas dire que « L’école des fans » était l’émission la plus intelligente de la télévision, ce n’est pas trahir la mémoire de Jacques Martin de le dire. Il n’y a pas de raison de parler des morts différemment des vivants. Pas de raison de leur accorder une immunité post-mortem ou un quelconque traitement de faveur. Sauf à considérer qu’ils valent fondamentalement plus que les vivants, et ça ce serait très inquiétant.
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