vendredi 17 août 2007

Petite lucarne, fenêtre grande ouverte sur le monde

Tremblement de terre au Pérou, génocide au Darfour, attentats en Irak, séquestrations en Afghanistan. Scènes ordinaires d’une journée comme les autres.

On nous rebat les oreilles de spéculations théoriques qui n’ont d’autre utilité que celle de faire parler de leurs auteurs. Pendant ce temps la seule vraie question qui vaille n’être posée demeure sans réponse. Je me demande toujours comment peut on être heureux alors qu’un même instant des milliers d’enfants meurent de faim à l’autre bout de la Terre, dans des pays, dans un monde que l’on ne voit pas, que l’on entraperçoit tout au plus une fois par jour, à l’heure du journal télévisé, pour l’oublier aussi vite.

Pauvre journal, triste grand messe quotidienne qui nous donne à voir un aperçu non-exhaustif des malheurs du monde, comme pour pouvoir se dire par contraste « ouf, ma vie n’est pas si mal, voilà à quoi j’ai encore échappé aujourd’hui. » Une façon comme une autre de prendre de la distance avec l’événement. Une manière aussi d’exorciser ses peurs. La télé agit comme un vaccin, chacun prend sa petite dose de malheur des autres en y assistant en tant que simple spectateur, et en pensant que cela lui évitera de les vivre en réel. C’est bien là tout le côté ambigu de la petite lucarne et singulièrement du 20h qui rapproche des drames, pour mieux s’en éloigner ensuite. D’un côté je compatis ; de l’autre, ne soyons pas hypocrites, je suis bien content de ne pas être à la place de ceux dont j’observe les déboires. C’est humain, il n’y a pas à en être fier, il ne faut pas s’en excuser non plus.

Au fond, le monde se divise en deux : ceux qui font l’actualité et ceux qui en subissent les conséquences. Les uns confortablement installés dans leur canapé, les autres tentant de se débattre en vain devant la caméra. Les uns polluent, les autres sont les premiers à en pâtir.[1] Changer les choses ? Ce n’est pas de notre côté qu’il faut attendre un bouleversement. Nous avons bien trop peur que les rôles ne s’inversent et sommes trop occupés à lutter pour la défense de nos acquis qui portent décidément bien mal leur nom. Il va de soi que je m’inclus dans ce nous peu reluisant. Cela fait-il de moi un cynique de la pire espèce ? Peut-être. J’aime à croire que je suis juste quelqu’un de réaliste. Mais de réalisme, le citoyen n’en a cure, ce qu’il veut ce sont de belles paroles. Dans ces conditions, il apparait sans doute plus porteur de se poser en défenseur de la paix dans le monde sans rien faire en ce sens, que de regarder la réalité en face, même lorsqu’elle n’est pas belle à regarder. Shakespeare en avait déjà en l’intention lorsqu’il prête à l’un de ses personnages ce propos : « And thus I clothe my naked villainy / With old odd ends stolen forth from holy writ/And seem a saint when most I play the devil.[2] » De là, mieux vaut dire qu’on fait le bien et faire le mal, que ne rien dire quoi qu’on fasse par ailleurs.

Puisque le silence est considéré comme un aveu de culpabilité, parler ne saurait de toute façon aggraver mon cas. Je ne prétends pas avoir fait grand chose dans ma vie pour rendre le monde meilleur, mais au moins je ne le l’ai pas rendu pire. Si j’en crois ce que j’ai vu ces derniers temps, ça n’est déjà pas si mal. Mon rôle se limite à celui de témoin, de critique aussi quelquefois. Je balance sur mon blog quelques idées comme on jette une bouteille à la mer ; avec le vague espoir que le hasard l’amènera vers qui la lira, la quasi-certitude que cela ne changera rien à la situation. Bien sûr, mon but n’est pas totalement désintéressé. Je prends le web à témoin pour qu’au jour où nous atteindrons le point de non-retour, je ne figure pas au nombre des moutons de Panurge, êtres bêlants et naïfs, qui suivaient le troupeau sans se poser de question, jusque dans le précipice s’il le faut.

J’ai vu arriver le danger, j’ai tiré la sonnette d’alarme mais le capitaine avait abandonné le navire depuis longtemps. Y eut-il d’ailleurs seulement un jour un capitaine ? Le monde me fait penser à un train qui n’aurait plus de freins. Accaparés par leurs discussions, les passagers ne voient pas le danger. Ils courent à leur perte dans l’insouciance la plus totale. Le choc ne sera pas moins douloureux pour autant. Alors, ne m’en voulez pas si je me réserve le droit de sauter du train à temps.


[1] Je songe aux petites iles appelées à disparaître à plus ou moins brève échéance du fait du relèvement du niveau de la mer consécutif au réchauffement climatique.

[2] Je drape ma vile scélératesse sous quelques vieux haillons volés à l'évangile et passe pour saint à l'heure où je fais le diable. D'après Richard III de Shakespeare.

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