Scène apocalyptique de fin juin. De tous côtés elles émergeaient : des centaines de femmes, d’ordinaire à peu près normales, rendues comme folles à la vue des rayonnages débordants d’articles en tous genres. La perspective de faire des bonnes affaires les excite, la peur d’en manquer une les rend pour ainsi dire complètement hystériques.
Tout le monde s’y met. De la gamine de douze à la mamie de quatre-vingts printemps en passant par la femme active de quarante, elles sont toutes là. Il FAUT faire les soldes. LE DOGME. En voiture, à pied ou en chaise roulante, elles iront. Si cela s’avère nécessaire, elles mourront pour satisfaire leur quête de l’objet désiré. Mais que vaut ce modeste sacrifice face à la promesse du plaisir d’empiler les choses inutiles aux objets encombrants ?
La venue d’un nouvel arrivage interrompt brutalement mes pensées. Vite, fuir tant qu’il en est encore temps. Mais les autres les attendent de pied ferme, bien décidées à ne pas céder n pouce de terrain. La bataille sera rude. Il n’y aura pas de prisonniers, et pour seule règle, celle du « premier arrivé, premier servi. »
Le temps est venu pour moi de m’éloigner. Le regard mauvais, certaines guettent l’instant où je lâcherai ma proie pour aussitôt s’en saisir. Pendant ce temps, d’autres s’affairent à déterrer le butin qu’elles ont précautionneusement enterré bien à l’abri des regards indiscrets la veille.
A voir les regards implorants adressés aux vendeuses pour qu’ils concèdent une nouvelle démarque, le doute n’est plus possible. Les magasins sont les temples modernes et les vendeurs en sont les dieux. De proche en proche, du bas en haut de l’échelle, tout le monde est dans le coup. Du plus modeste vendeur, du chef de rayon jusqu’au gérant, tous sont unis dans un même but : vous faire cracher jusqu’à vos dernières économies. Avec ce mobile tout trouvé : « Faites-vous plaisir. » Le vice n’est plus de gaspiller mais de ne pas savoir se faire plaisir.
Mais ne dit-on pas que l’exemple vient d’en haut ? Alors, au besoin, Dieu lui-même se fait vendeur. Un vendeur un peu spécial, qui n’a pas de stock et qui n’a rien à vendre. Juste un peu d’espoir, tout entier contenu dans cette idée : On meurt d’abord et puis on voit après. Quand on y pense, quelle idée de génie et quel créneau porteur. Deux mille ans que ça marche avec la même fonds de commerce. Ce gars là est franchement doué en affaires. Dommage qu’il n’ait pas songé à faire breveter son idée.
A voir cette foule aller et venir en tous sens, butiner d’un rayon à l’autre dans un savant désordre, j’ai bien du mal à reconnaître en son sein des gens que pourtant je connais. Rien n’y fait, la période des soldes agit sur moi comme un repoussoir. Outre le fait qu’elle a été amplement détournée de son objectif initial – permettre aux moins nantis de se vêtir à bon compte – les soldes sont un des symptômes les plus visibles de la fièvre acheteuse qui s’empare chaque jour un peu plus de nous. Je ne juge pas et ne jette la pierre à personne. Simplement, je n’accroche pas.
Aussi, qu’on m’excuse de ne pas prendre part à ces libations. Je cède bien volontiers ma place à celles qui peuvent encore remplir leur vie d’objets et leur souhaite bien du plaisir. Ça ne durera pas.
2 commentaires:
Hum, les soldes ne servent pas tant aux moins nantis à se vêtir à bon compte, qu'aux commerçant à finir d'écouler leur stock de la saison avant d'attaquer la suivante (passage été-hiver / hiver-été) Le commerce n'a jamais eu la moindre visée philanthropique ;-)
A part ça, j'aime bien la description de l'hystérie collective, peut-être légèrement machiste, mais pas tellement loin de la vérité en fin de compte...
Je te garantis que le but premier des soldes étant d'aider les plus démunis, au nivau de la Belgique en tout cas, je ne préjugerai pas du cas de la France. Après ne pense pas avoir dit que ce but ait effectivement été atteint dans les faits...
Pour le machisme, je me suis fait la même réflexion que toi en écrivant mais je n'aime pas me censurer alors... Et puis de toute manière la réalité n'est ni machiste ni féministe, elle est juste réelle. Pour avoir observé de visu la plupart des anecdotes que je décris, je peux te dire que je force à peine le trait.
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